ENS Lyon 2026 – Géographie – Lettre de cadrage

ENS Lyon 2026 – Géographie – Lettre de cadrage

Unité géographique, hiérarchies et inégalités sociales
L’unité de cet espace repose sur divers éléments, parmi lesquels des densités démographiques élevées et continues, notamment rurales, une structuration territoriale autour de la plaque indienne et des systèmes fluviaux majeurs tels que ceux du Gange, de l’Indus et du Brahmapoutre, ainsi qu’une large dépendance aux régimes de mousson. La colonisation britannique a également laissé une empreinte durable dans l’organisation de la région, les infrastructures et les hiérarchies sociales.
Cependant, cette unité apparente masque une profonde diversité linguistique, religieuse et sociale. La région abrite une multitude de langues appartenant à différentes familles linguistiques. Sur le plan religieux, les mondes indiens sont le berceau de l’hindouisme, du bouddhisme, du sikhisme, et accueille également l’islam et le christianisme, créant ainsi une mosaïque confessionnelle complexe. Le système des castes, bien que principalement associé à l’hindouisme, influence également les hiérarchies sociales qui se maintiennent, malgré les politiques de discrimination positives, grâce à leur paradoxale adaptation à la modernité.

Ruralités et urbanités en recomposition
Les mondes indiens se caractérisent par des dynamiques démographiques intenses et contrastées. Si une part importante de la population est encore rurale, l’urbanisation rapide et différenciée des territoires transforme profondément les structures territoriales. Des couloirs urbains et des systèmes métropolitains régionaux émergent, modifiant les hiérarchies urbaines traditionnelles et redéfinissant les axes de circulation et d’échanges. Plus récemment, des travaux en géographie urbaine, ancrés dans les approches postcoloniales et critiques, se sont penchés sur des objets spécifiques, tels que les usages différenciés des espaces publics, la place
des animaux ou encore les multiples formes d’habiter en ville, depuis les marges des « subalternes » jusqu’aux quartiers de la middle class.
Les espaces ruraux restent centraux dans l’organisation territoriale des mondes indiens, en raison de leur poids démographique et de leur rôle dans les dynamiques de mobilité. Ils sont traversés par d’importants mouvements de populations, de l’exode rural aux migrations saisonnières, qui recomposent les liens entre ville et campagne. Au-delà des approches classiques centrées sur les systèmes agraires ou les politiques de développement, de nouveaux travaux, croisant échelle locale et processus globaux, s’intéressent à des thématiques telles que les migrations circulaires, la multifonctionnalité des campagnes, les questions de justice environnementale ou les effets des politiques d’adaptation climatique des territoires ruraux.
Ces évolutions, qui résultent également de choix politiques et de rapports sociaux inégalitaires, accentuent la pression sur les ressources, les services et les infrastructures et génèrent des vulnérabilités multiples, tant dans les espaces urbains que ruraux : insécurité foncière, accès inégal aux soins, à l’éducation ou à l’eau potable, exposition accrue aux risques environnementaux et climatiques. Les travaux récents s’intéressent à la manière dont les populations s’adaptent à ces contraintes : retrait glaciaire dans l’Himalaya, stress hydrique au Pakistan et en Inde, inondations au Bangladesh, risques cycloniques dans le golfe du Bengale ou de submersion des atolls dans l’océan indien, gestion des déchets dans les villes ou pollution agricole.


Diversité et complémentarité des systèmes productifs
Depuis les années 1990, les mondes indiens connaissent des recompositions productives majeures sous l’effet de la libéralisation économique et de la mondialisation. La région, et l’Inde en particulier, s’est affirmée comme un pôle émergent dans des secteurs stratégiques : technologies de l’information et services numériques, industrie pharmaceutique ou industries culturelles. Ces activités, fortement territorialisées, se situent principalement dans les grandes
métropoles – Delhi, Mumbai, Karachi, Dhaka ou Bangalore – qui concentrent les flux
économiques, les fonctions stratégiques et les investissements. Elles sont aussi les lieux
d’inégalités territoriales importantes, marquées par l’étalement urbain, la ségrégation socio-spatiale et les différences d’accès aux services urbains.
Cette dynamique économique s’inscrit dans des territoires caractérisés par une forte
hétérogénéité des systèmes productifs. Les espaces intégrés – notamment les corridors
métropolitains, les zones franches ou les technopôles – coexistent avec des territoires plus périphériques, où dominent des activités faiblement capitalisées, comme certaines agricultures vivrières, des industries manufacturières informelles ou artisanales, ou encore des économies extraverties mais vulnérables (textile, pêche, tourisme). Cette juxtaposition de logiques
productives traduit une géographie économique à la fois fragmentée et complémentaire. De plus, malgré leur intégration progressive à l’économie mondiale, les mondes indiens restent encore très tournés vers leur marché intérieur.
L’agriculture, qui structure toujours l’occupation du sol et l’emploi rural, reflète aussi cette diversité. Tandis que certaines zones bénéficient d’une intensification permise par la Révolution verte, l’irrigation ou la mécanisation, d’autres restent marquées par une faible productivité, une dépendance à la mousson, et presque toutes connaissent une forte vulnérabilité socio- économique. Les politiques agricoles oscillent entre soutien aux filières d’exportation, programmes de sécurité alimentaire, subventions ciblées et expérimentations locales en agroécologie. Dans certains cas, des initiatives communautaires ou étatiques ont permis une amélioration des revenus, une gestion plus durable des ressources ou une meilleure organisation des producteurs. Toutefois, les défis restent importants.


Territoires politiques et circulations
Les mondes indiens forment un espace politique fragmenté, hérité des décolonisations du XXe siècle, en particulier de la Partition de 1947 sur des bases religieuses. On interrogera la construction et l’évolution des frontières dans la région, tout comme les mobilités pour comprendre la complexité des interactions transfrontalières dans cette macro-région. Aux côtés de l’Union indienne, vaste démocratie fédérale dont les 28 États sont très autonomes, coexistent des régimes politiques contrastés : monarchie constitutionnelle au Bhoutan, républiques islamiques au Pakistan et au Bangladesh, ou régime présidentiel aux Maldives.
Malgré cette diversité, les États de la région partagent des trajectoires de construction
territoriale comparables : affirmation d’identités plurielles, déploiement d’un maillage
administratif, gestion de tensions interethniques, religieuses et politiques (révoltes maoïstes au Népal ou chez les « naxalites » de l’Inde), rapports parfois conflictuels entre centres et périphéries, et politiques de développement territorial.
L’étude de ces recompositions politiques doit s’envisager aux échelles locales, à celle des États fédérés et des provinces, à celle des pays, mais aussi à l’échelle régionale. L’espace sud- asiatique constitue un ensemble marqué par des relations ambivalentes entre les États : les logiques de bon voisinage – fondées sur les échanges culturels, linguistiques, migratoires ou économiques – tendent à laisser la place à des tensions géopolitiques parfois vives. Les rivalités historiques entre l’Inde et le Pakistan, les revendications frontalières et l’enjeu des Nouvelles routes de la soie avec la Chine, les différends territoriaux ou fluviaux avec le Népal, le
Bangladesh ou Sri Lanka, les contentieux liés aux minorités transfrontalières, ou encore la présence des États-Unis qui ont fait de la région un pivot de leur stratégie indopacifique, freinent toute tentative d’intégration régionale forte, malgré la création d’instances de coopération.
Enfin, les candidates et candidats devront se garder d’une approche misérabiliste des mondes indiens. Si l’analyse des vulnérabilités sociales, des inégalités ou des risques environnementaux est essentielle, il serait réducteur d’en faire l’unique prisme de lecture. Adopter une perspective nuancée permet de restituer la complexité de cet ensemble régional et d’appréhender un espace-monde en pleine mutation, dont l’importance ne cesse de croître dans le monde actuel.


Bibliographie indicative :
Voir le dossier « Le monde indien : populations et espaces » sur Géoconfluences
Voir également le dossier « Mondes urbains indiens » dans la revue en ligne Urbanités Cadène P., Dumortier, B., Bautès, N. et Boillot, J.-J. (2015). L’Inde : une géographie, Armand Colin.
Claveyrolas, M. et Delage, R. (2016). Territoires du religieux dans les mondes indiens. Parcourir, mettre en scène, franchir, Edition EHESS, Collection Purushartha. De Bercegol, R. (2015). Petites villes et décentralisation en Inde, Presses Universitaires de Rennes.
Durand-Dastès, F. (2006). « L’organisation spatiale du Monde Indien, vingt-cinq ans d’évolution », in Decroly JM et Nicolaï H. Mutation des territoires dans le monde à l’aube du XXIe siècle, L’Harmattan, p. 129–147.
Landy, F. et Varrel, A. (2015). L’Inde. Du développement à l’émergence, Armand Colin.
Saint-Mézard, I. (2016). Atlas de l’Inde, une nouvelle puissance mondiale, Atlas Autrement

Joseph Viney

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